La façon dont le droit français prend en compte les sols dépend davantage de l’usage présent ou projeté sur le sol que de ses caractéristiques biologiques ou physico-chimiques.
Cette page a été rédigée par Philippe BILLET (ancien Administrateur AFES) et Maylis DESROUSSEAUX (maître de conférences au Conservatoire national des Arts et Métiers du Mans).
Le « droit des sols » n’est pas organisé. A quelques exceptions près (sols d’un espace protégé), le code de l’environnement ne reconnaît pas le sol au titre des milieux physiques comme il le fait pourtant pour l’eau et l’air et ne règle que le sort du sol « malade » (réhabilitation des sols pollués). Si le droit n’est pas tourné explicitement vers un objectif de protection, cela ne veut pas dire qu’aucune disposition juridique ne protège le sol, directement ou indirectement.
Le « droit des sols », ou plutôt, devrait-on écrire, « le droit qui régule les activités sur le sol », est pluriel : droit civil (droit de propriété, servitudes), droit rural (exploitation agricole, protection contre l’érosion), droit de l’urbanisme (affectation des sols, gestion de sa rareté), droit de la santé (support de mesures de protection des captages d’eau potable), sans existence d’un régime général qui poserait des principes directeurs, qui définirait une philosophie générale de protection.
Connu, le sol n’est pas pour autant défini, même si le « sol », au singulier comme au pluriel, est souvent employé dans les différents codes, distinctement de « la terre » ou « des terres ». Il en résulte que, selon la législation concernée, le « sol » n’aura pas nécessairement le même sens. Ainsi, par exemple :
NB : la terminologie anglo-saxonne (soil, land…) utilisée dans les traités et autres documents internationaux ou européens pose aussi question de la traduction la plus adéquate.
Les sols ont été introduits parmi les principes du droit de l’environnement par la loi « biodiversité » de 2016. Cette avancée est tempérée par une formulation pour le moins ambiguë, car il faut bien lire que les sols ne font pas partie du patrimoine commun de la nation, mais qu’ils y participent, c’est-à-dire que ce ne sont pas les sols en tant que tels qui sont visés par la qualification, mais que leur rôle est reconnu dans la formation des paysages, dans la biodiversité, etc.
Si la qualité du sol est un objectif que les collectivités doivent poursuivre, on supposera ici qu’il s’agit de la qualité « environnementale » du sol et pas seulement de la surface, dont l’économie par recours à la densification est réglée par d’autres dispositions. Cependant, si la qualité de l’eau est définie par ailleurs (Directive cadre sur l’eau de 2000), permettant de savoir ce dont il s’agit, ce n’est pas le cas de la qualité du sol. On ne sait donc pas précisément à quoi le code de l’urbanisme fait référence : qualité écologique ou qualité d’usage ?
On comprend ici que les terres et le sol sont deux éléments distincts. Par analogie, l’expression « les terres » ferait référence aux terres agricoles, tandis que « le sol » ferait référence au sol en tant que milieu naturel. On comprend donc qu’un projet peut avoir un impact sur le sol sans avoir nécessairement un impact sur les terres ou, en tout cas, un impact différent. Les exemples sont nombreux, révélant un flou certain, préjudiciable à la protection des sols, dans leur diversité et dans la diversité de leurs fonctions. Si certains progrès peuvent être enregistrés (protection quantitative par la densification, protection qualitative par la reconnaissance de leurs services écosystémiques), ils restent limités, la reconnaissance du sol comme élément naturel à part entière ayant été emportée par l’abandon du projet de directive définissant un cadre pour la protection des sols. L’avancée était certaine pourtant, tant dans la reconnaissance de ses fonctions que dans les modalités de sa protection. Que l’on en juge : « 1. La présente directive définit un cadre pour la protection des sols et la préservation de leur capacité à remplir chacune des fonctions écologiques, économiques, sociales et culturelles suivantes :
Le projet de directive prévoyait des mesures pour prévenir les processus de dégradation des sols, tant naturels que provoqués par les activités humaines, compromettant leur capacité des sols à remplir ces fonctions : atténuation des effets de ces processus, remise en état et assainissement des sols dégradés de manière à leur restituer un niveau de fonctionnalité compatible au moins avec leur utilisation effective et leur utilisation future autorisée…
Ce flou conceptuel et normatif se répercute notamment sur la qualification des zones humides, malgré un encadrement que l’on pourrait considérer comme détaillé par rapport aux autres dispositions législatives et réglementaires.
Ainsi, est-ce l’usage qui prime ou bien le sol ? La décision du Conseil d’État (22 février 2017) et la note technique du ministère de la Transition écologique (26 juin 2017) attestent de l’actualité du débat sur les critères à retenir pour qualifier une zone humide, ainsi que des enjeux antagonistes entre la protection de ces zones et l’exploitation agricole des sols.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi l’AFES plaide en faveur d’une reconnaissance des sols en tant que milieu naturel, qui justifierait un chapitre à part entière et débuterait par la définition de la qualité des sols dans le code de l’environnement, qui correspondrait à leur « bon état écologique ». Une simple consécration de leur réalité naturelle.
Le sol fait une apparition discrète mais non moins remarquée par les spécialistes dans la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, dans son chapitre unique du Titre IV (Sols et sous-sols) du livre II (milieux physiques) “principes généraux de la protection des sols et des sous-sols” !
auditionné par la section de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation du CESE dans le cadre de la saisine : "La bonne gestion des sols agricoles : un enjeu de société".
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