Emmanuel-Eugène SERVAT
Biographie
Emmanuel, Eugène Servat est né le 14 janvier 1922 à Biert, en Ariège. Il a suivi sa prépa Agro à Toulouse, en 1941 et 1942, mais ses études ont été interrompues par la guerre. Il s’est retrouvé dans les Chantiers de jeunesse puis s’est affirmé dans les réfractaires au STO. Après les hostilités, il a fait partie de la première promotion admise à nouveau à l’Ecole Nationale d’Agriculture de Montpellier, le 20 février 1945. Ingénieur Agricole dès juillet 1946, il est aussi Licencié en Sciences ayant suivi en parallèle des cours à la fac.
Début de carrière à l’École d’Agriculture
A l’École d’Agriculture, il entre dans le laboratoire de « Géologie et Physique ». Depuis le départ de Maurice Chassant, en 1941, ce laboratoire n’était plus dirigé par un professeur mais par un Maître de conférences. Le titulaire était alors Bernard Gèze, homme remarquable, qui forma E. Servat à la géologie et au terrain, en particulier sur les affleurements du Trias de Saint Affrique. A l’Ecole de Montpellier, en dépit d’une orientation forte vers la Météorologie agricole (Crova de 1882 à 1887, Houdaille de 1887 à 1904 puis Chassant de 1902 à 1941), il y avait une tradition et une expérience particulière concernant les études et analyses de sols. Cela avait commencé avec Henri Lagatu, l’inventeur à la fois du triangle de texture, des lames minces de sol et du diagnostic foliaire. Dès 1893 Lagatu, alors jeune assistant, avait tracé et édité avec L. Sémichon, deux petites cartes agronomiques pour accompagner les excursions du Congrès viticole de Montpellier, manifestation où se pressèrent plus de deux mille participants. Puis, en 1947, B. Gèze, avait reçu le ” Congrès international de pédologie de Montpellier – Alger “, du 1er au 7 Mai. Dès 1944 et peut être même avant, le chef de travaux, G. Montarlot, avait largement délaissé la météorologie, dont il était en principe chargé, et s’était passionné pour la pédologie. Il avait publié dans les Annales de L’Ecole de Montpellier différentes notes intéressant cette discipline, en particulier une carte et une notice des sols de l’Hérault. Les travaux faits ensuite par E. Servat et ses collaborateurs ont développé, d’une certaine manière, les essais préliminaires de G. Montarlot. Mais ce denier, âgé, isolé, et ayant fort à faire avec ses enseignements de travaux pratiques partit bientôt en retraite et fut un peu oublié.
Expérience au Liban
Servat est Assistant en 1946. Du 1/3/1952 au 28/2/1954, il est détaché au Liban où il acquiert une expérience de terrain importante et apprend aussi à diriger les hommes. Lorsque qu’il revint au Liban, onze ans plus tard avec une promotion d’élèves, un de ses anciens collaborateurs libanais, qui ne l’attendait pas, tomba en pleurs à genoux devant lui. La scène montra alors aux spectateurs, saisis d’émotion, la trace que cet homme là avait laissé dans les cœurs.
Direction du laboratoire de Montpellier et cartographie
De retour en France, il est nommé Maître de Conférence en 1956 et assure la direction du laboratoire car B.Gèze gagne Paris où il va occuper un poste de professeur à l’Agro. E. Servat va alors imprimer sa marque au laboratoire de Montpellier. Parti de la géologie, il voit bien l’intérêt du terrain et de l’approche spatiale des sols. Il va lancer des études cartographiques dont la première est la ” Carte des sols du Roussillon “, commencée en 1960 et publiée, en couleurs, en 1964. Toujours en 1964, E. Servat est nommé professeur en titre. L’époque est spécialement orientée vers l’aménagement du territoire. D’une part, les Directions Départementales de l’Agriculture ont de l’argent administrativement réservé aux études préalables aux travaux hydro-agricoles. D’autre part, l’INRA est dans sa grande phase de développement. E. Servat va donc pouvoir continuer les études pédologiques qui le passionnent. Pour elles, il peut trouver à la fois des clients et des jeunes assistants susceptibles de réaliser les travaux de terrain. La chaire recrute fort, non seulement des chercheurs INRA, mais aussi des techniciens qui sont, pour partie, payés directement sur les contrats réalisés (la chose serait impossible aujourd’hui !). On fonde le « Service d’Etude des Sols de Montpellier » alias « SES Montpellier ». L’effectif du SES dépasse rapidement les 30 personnes. Le travail est bien fait. Les prospections de terrain sont minutieuses même s’il faut pour cela que les équipes séjournent dans des hôtels et loin de leurs bases pendant de nombreuses semaines, par périodes de quinze jour. Les cartes sont publiées en couleur avec des efforts et des trouvailles au plan de l’expression graphique. Les légendes indiquent parfois le nom scientifique des sols mais, surtout, elles en précisent toujours les caractères physico-chimiques dans un langage accessible aux utilisateurs. On évite de jargonner ! Les notices sont détaillées. La clientèle est fidélisée. Par exemple, le Service d’Aménagement Régional des Eaux de Lyon, commande une série d’études de façon à couvrir, en quelques années, toute la moyenne vallée du Rhône. Le Val d’Allier est cartographié à 1/100 000, de Brioude à Nevers, sur plus de 600 000 ha. En fait, on travaille de la frontière d’Espagne (Massif des Albères – 1969) jusqu’à la frontière belge (Wateringues du pas de Calais – 1971) et depuis la Charente Maritime (1971) jusqu’au Jura (canton d’Arbois – 1977). Le nombre total d’ha levés par le SES-Montpellier est difficile à calculer mais dépasse certainement 5 millions d’ha, toutes échelles confondues.
Implication d’E. Servat
Au départ, E. Servat participe à tous les travaux de terrain et insiste pour que l’on prenne bien en compte les substrats, leur organisation dans l’espace, l’occupation agricole des sols, les pentes. Ses collaborateurs rédigent les notices. Il n’écrit guère n’en ayant ni le temps ni le goût. Mais il relit tous les rapports, se révélant un correcteur exigeant et à qui rien n’échappe sur le fond ou dans la forme. Puis ses collaborateurs vont prendre de l’indépendance et mener seuls leurs prospections et rédactions. Pour ne pas perdre contact avec le terrain, E. Servat se réserve, de temps à autre, des études qu’il réalise de bout en bout, aidé seulement d’un technicien. Au total, il aura signé une trentaine de travaux de cartographie s’inscrivant dans le sud de la France. Parmi les études faites par lui, signalons celle de Cajarc. Elle lui valut d’être remarqué par les Pompidou qui le reçurent à un long apéritif. De retour à Montpellier, E. Servat fut appelé au téléphone par de hauts personnages de l’Etat qui voulaient entendre ce que ce professeur de l’enseignement supérieur avait pu dire ou demander au Président de la République, dans une période où l’Université s’agitait. Ils ne surent rien ! Détenteur d’une expérience unique, E. Servat est invité en Italie, en Espagne, en Belgique et ailleurs. Il intervient lors de congrès. Il rédige, seul ou en collaboration, différents articles méthodologiques sur la cartographie et cela représente une vingtaine de communications au total. Sa personnalité marquante impressionne ses interlocuteurs dont il fait souvent des amis.
Mise en place de thèses dans le laboratoire
A la direction de l’INRA, on l’avait soutenu, au moins dans les débuts. Mais on s’inquiétait aussi du risque de voir fonctionner ce laboratoire de Montpellier comme un bureau d’étude. On lui mit le marché en main en lui disant, en substance : « on vous reprend vos techniciens sur le budget normal de la maison, à condition bien sûr que vous cessiez de recruter et limitiez l’activité cartographique ». Le Chef de département, Stéphane Hénin, se déplaça en personne à Montpellier pour inciter les collaborateurs du professeur à s’intéresser à la recherche pure. Sous l’impulsion d’Hénin, on entreprit des thèses d’Etat. C’était possible car, avant cela, E. Servat avait insisté pour que ses collaborateurs complètent leurs diplômes d’ingénieurs par des Licences faites à la Fac des Sciences. A cette époque, la notion de « Licence libre », disparue depuis, permettait de constituer son menu à la carte. On pouvait être diplômé en grappillant les « Certificats » qui paraissaient utiles à la cartographie : Géologie générale, Minéralogie, Chimie générale, Botanique, etc. C’était passionnant mais cela rendait les choses plus dures car, dans certains domaines, les bases manquaient et il fallait travailler pour les acquérir.
Les thèses des collaborateurs de Servat servirent, pour une part, à faire la synthèse des expériences acquises, en France, dans différents milieux : salés, calcaires, alluviaux, volcaniques, montagneux, etc. La première soutenue fut celle de Jean Servant, en 1975. C’était le début d’une ère nouvelle pour tout le personnel car, de leur côté, les techniciens de terrain se sont attachés à devenir Assistants ingénieurs, Ingénieurs d’Etude et parfois même Ingénieurs de recherche.
E. Servat se mit en tête de faire construire un labo, pour mieux loger ses troupes. Elles étaient jusque là serrées dans des locaux qui furent l’étable et la magnanerie de la vieille école d’agriculture de 1872. Les premiers plans furent tirés dès 1974 et le bâtiment fut achevé quelques années plus tard.
E. Servat était un professeur agréable à écouter. Il émaillait ses exposés d’exemples qu’il avait pris sur le terrain. C’était simple, clair, vivant, intéressant. Les jeunes étaient séduits et souvent voulaient entrer dans son labo. Professeur associé à l’Université des Sciences et Techniques du Languedoc, il avait lié là un tissu de relations grâce auquel il put lancer un DEA de Science du Sol. Ses collaborateurs directs firent nombre dans les deux premières promotions (1968 et 1969). Cela lança la machine.
Puis, de nombreux étudiants français et étrangers se formèrent dans ce cadre du DEA à la Science du sol dont les aspects pratiques étaient largement associés aux bases théoriques indispensables. E. Servat dirigea alors un nombre important de thèses. Mais le DEA disparut au moment du départ en retraite du professeur. La formation locale fut, avec d’autres, remplacée par un DEA national.
Retraite
En retraite, E. Servat restait infatigable. Expert de l’INAO, il circulait dans tous les vignobles du sud de la France pour travailler à une meilleure délimitation des zones d’appellations contrôlées. Il était à l’aise dans tous les terroirs mais il s’était fait une spécialité des Côtes du Rhône. D’après l’INAO, on lui doit des dizaines de rapports sur la vigne. Il est intervenu aussi pour délimiter les terroirs à Oignon doux des Cévennes, à Olivier de la vallées des Baux et Diois, sans oublier le foin de Crau…. Signalons aussi qu’il était Chevalier du Mérite Agricole (1954), Officier (1973), Chevalier des palmes Académiques (1964) et avait le ” Mérite Libanais ” rejoignant donc la faible cohorte des professeurs de l’enseignement agronomique titulaires de décorations étrangères. Il était membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France. Pendant 10 ans, de 1977 à 1987, il a été membre du Comité scientifique du Parc National des Cévennes.
Caractère
Pourquoi ne pas l’avouer : son caractère était assez difficile. On ne monte pas un gros laboratoire de recherche avec hommes et locaux, un bureau d’étude, un DEA, etc., sans savoir ce que l’on veut ! Mais, homme fin derrière son accent du Midi, il savait en toute circonstance prendre les bonnes décisions et ceci explique sa réussite. Il avait l’expérience de la vie et donnait, avec humour, de bonnes leçons à ses collaborateurs.
Il disait par exemple : ” N’importe qui, sous le coup de la colère, peut, dans une réunion, crier au scandale et grimper sur la table pour mieux se faire entendre. Le seul problème est que, après être monté sur la table, il arrive le moment difficile où il faut bien en redescendre… “. Monté, avec quelques autres, sur le piédestal de la pédologie française, E.Servat y demeurera.
Jean-Paul LEGROS, Michel BORNAND, Gabriel CALLOT, Jean-Claude FAVROT et Jean SERVANT.