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Portrait de porteurs de projet : IPAUP93 21 octobre 2024

IPAUP93, un consortium interdisciplinaire, ça marche !

 

Découvrez l’interview de deux porteurs du projet IPAUP93, Henri Robain, physicien des sols, chercheur à l’IRD et Thomas Lerch, microbiologiste des sols, enseignant chercheur à l’UPEC.

Question 1 : Pouvez-vous nous présenter le projet IPAUP93, sa mission et qui le fait vivre ?

Le projet IPAUP93 a été rédigé, grâce au Lab3S, en réponse à l’appel d’offre CO3 de l’ADEME et a obtenu son financement en 2020. La crise sanitaire a significativement compliqué la première année de son implémentation.

La mission du projet est d’aborder les problématiques de réhabilitation d’environnements pollués en y mettant en place des sols construits. Cette mission a été déclinée en trois axes. Un axe pédologique, mis en place par nous, chercheurs en sciences des sols, s’est chargé de la co-construction et du suivi de l’expérimentation de sols construits. Un axe socio-anthropologique a permis de documenter les savoirs et les pratiques locales relatives à la pollution des sols, et de questionner la place que pourraient prendre les techniques que nous avons expérimentées. Enfin, un axe culturel a permis de faire vivre un débat plus large autour de l’habitabilité des territoires pollués en conviant un public plus large.

Le projet a associé étroitement, au sein d’un consortium pluridisciplinaire, des chercheurs en sciences des sols, des chercheurs en SHS, et des associations du territoire très diverses (jardinage, gestion d’espaces pollués, réinsertion sociale). Il a permis d’expérimenter une volonté affirmée de co-construction des connaissances.

L’équipe de recherche : Ana-Cristina Torres (UPEC/Lab’Urba), Germain Meulemans (CNRS/CAK EHESS), Thomas Lerch (UPEC/iEES-Paris), Henri Robain (IRD/iEES-Paris), Alexandrine Schneider, Niurca Jacira Alves Nassambis Nancabi, Astrée Ing (Stagiaires M2 iEES-Paris/Halage), Sylvain Lallier, Gabrielle Rey (Stagiaires M2 Lab’Urba/CAK).

Les associations : Karl Hospice et Maud Dujardin (Activille, Bobigny), Pauline Sy et Lucile Vigouroux (LAB3S, Bondy), Juliette Martz et Charles Drevelle (stagiaires sur le volet culturel / communication accueillis par le LAB3S) Nathalie Boitouzet, Simon Bichet, Quentin Metge et Stéphanie Herbé (Halage, Ile Saint-Denis), Christophe Bichon (Sens de l’Humus, Montreuil). Et aussi : Caroline Niémant (Potager Liberté !, Les Lilas), Jordan Bonaty (Terres Urbaines, Drancy) qui ont contribué à l’élaboration du projet mais n’ont pas pu s’engager dans sa réalisation.

Les collectivités : Clémence Brunet qui a contribué à l’élaboration du projet puis Julia Badaroux qui a suivi sa réalisation (Conseil Départemental de Seine_Saint-Denis, CD93), Pauline Grolleron (Est Ensemble) qui a participé au démarrage du projet.

Une « tiers-veilleuse » : Elise Demeulenaere (CNRS/CAK EHESS) ]

Question 2 : Mais alors, initialement, comment est né le projet ?

Une première trame de ce projet avait été proposée en 2018 avec notamment Le sens de l’humus. Sous la direction du Lab3S le projet a été reproposé en 2019, en agrégeant d’autres associations au groupe restreint du début.

L’idée de départ était de travailler sur la réhabilitation de sols pollués par des Éléments Traces Métalliques (ETM) en introduisant une couche superficielle de sol construit (mélange de matériaux excavés inertes et de compost). En tant que chercheurs en sciences du sol à IEES-Paris, nous nous sommes appuyés sur des expérimentations antérieures, menées notamment avec la société ECT à Villeneuve sous Damartin, avec la Ferme du Bonheur à Nanterre, avec des étudiants d’AgroParisTech. En 2017, dans un contexte d’ouverture du campus de recherche IRD de Bondy vers des acteurs non-académiques et en nous basant sur ces expériences, nous avons pu élaborer ce projet de co-construction de connaissances sur les pollutions en milieu urbain pour répondre à un besoin exprimé par les associations et les collectivités : « Comment trouver une solution rapide pour les jardins collectifs confrontés à ces pollutions ? »

Il est établi que la phytoremédiation (extraction ou stabilisation des pollutions par les ETM) est une solution complexe dont les résultats sont très variables selon les sols, leurs usages et la nature de la pollution. De plus ce sont des solutions qui s’inscrivent dans le (très) long terme. La solution la plus simple pour les associations qui peuvent se le permettre est  d’excaver et de remplacer les sols pollués par de la terre végétale. Le projet a donc consisté à expérimenter dans les différents jardins associatifs impliqués, une solution alternative rapide et simple à mettre en œuvre : rajouter une couche superficielle de sol construit homogène qui fait office d’écran protecteur en diminuant la mobilité et la disponibilité vers les plantes des ETM présents en quantité excessive dans le sol.

 

Légende : Concertation approfondie entre tous les acteurs associatifs pour définir collectivement des pratiques de culture homogènes sur les 4 sites du projet.

Question 3 : Justement, qu’est ce qui se trame en ce moment au sein du projet et occupe votre temps dédié au projet ? 

L’événement de fin de projet justement, qui se déroule mercredi 25 septembre 2024 !

En effet, le financement arrive à son terme mais pour autant, ce n’est pas la fin du projet car une de ses réussites est que les associations se sont appropriés le dispositif expérimental et que les placettes continueront à être valorisées. Les associations Le sens de l’humus et Halage qui reçoivent du public, les utilisent pour faire de la communication sur la construction de sols, la pédologie et la bio-mobilité des substances toxiques. C’est une vraie réappropriation dans le cadre de projets d’éducation populaire qui contribuent à ce que les jardiniers aient une meilleure connaissance des sols pour comprendre comment préserver leur qualité en s’appropriant des concepts de pédologie.

Le projet va aussi continuer à vivre grâce à l’équipe qui viendra le présenter dans des événements organisés par les associations. Les liens tissés sont forts et ne se déferont pas rapidement…

De plus, les expérimentations du projet IPAUP93 s’arrêtent mais d’autres prennent le relai comme celles en cours d’élaboration sur des sites pollués par des hydrocarbures en Martinique ou en Seine Saint-Denis ou celui en cours jusqu’en 2030 sur la réhabilitation de sites où les sols ont été compactés lors de leur usage industriel passé (projet RESTAUR’SOL soutenu par le CD93).

 

Question 4 : Si vous avez rencontré des difficultés, qu’ont-elles été et quels leviers ont été utilisés pour les contourner ? 

La principale a été le début du projet en pleine crise sanitaire COVID. Comme il s’agissait d’un projet participatif avec beaucoup de terrain, il a fallu s’adapter !

Mais le retard a pu être rattrapé dès le début grâce à un travail intense des équipes de recherche sur le terrain. Il a ensuite fallu le compléter par de nombreuses réunions d’échanges pour créer des liens et impliquer les différents acteurs.

Le projet, a été réalisé sur 4 sites différents (Lil’O/Halage à l’Ile-Saint-Denis, le jardin Pouplier/Le sens de l’humus à Montreuil, le campus IRD/LAB3S à Bondy et le jardin collectif Activille à Bobigny) qui ont été prêts en même temps dès septembre 2020 pour 3 saisons de culture et d’expérimentation participatives. Nous ne sommes pas arrivés dans les associations avec la solution toute trouvée. Il a fallu comprendre ensemble quelle était leur perception de la pollution des sols pour ensuite définir AVEC eux une expérimentation pour leur permettre de valider eux-mêmes une solution technique qui leur convienne et qu’ils s’approprient entièrement.

L’approche participative priorisée, ne s’est pas du tout développée aux dépens de la rigueur scientifique qui a été explicitée en permanence aux collectifs associatifs. Par ailleurs, la recherche socio-anthropologique menée au sein du projet a permis de documenter les pratiques jardinières liées au sol et de les insérer dans une compréhension épistémologique des rapports aux sols (histoire des sites, le fonctionnement des associations, influence sur le rapport au sol et à la pollution). Cette démarche a contribué à faire de la pollution des sols un commun, un problème partagé dans lequel cette contrainte ne peut être simplement effacée ou résolue de façon technique. Cette étude montre en effet que la question de « comment vivre dans des territoires durablement pollués » est une question « politique » (au sens de « ce qui concerne la vie de la cité ») qui doit faire l’objet d’une discussion large, ce qui invite à tester de nouveaux assemblages entre disciplines et entre sciences et sociétés.

Nous sommes en tous cas fiers que ce projet ait donné envie aux associations d’utiliser des sols construits pour remédier à la pollution, en arrêtant d’utiliser de la terre végétale. Le changement de pratique impliqué par un tel projet est réel, comme le montre l’association Halage.

Question 5 : Et à ce jour, quelles sont les perspectives du projet ?

Nous venons un peu de le dire : un projet en entraîne un autre. Celui-ci prend fin pour nous, il trouve une nouvelle voie au sein des associations avec lesquels nous conservons les liens tissés et il laisse la place à d’autres projets qui vont se nourrir des résultats de celui-ci.

Il y a aussi des projets d’articles scientifiques en cours d’élaboration, sur des résultats d’ingénierie pédologique mais aussi sur les résultats de l’axe socio-anthropologique.

Un article commun de vulgarisation avec une vision partagée par les différents types d’acteurs est aussi en projet. La co-construction est un aspect essentiel du projet IPAUP93 que nous voulons porter jusqu’au bout.

 

Légende : Plantation très minutieuse des cultures à l’aide de patrons garantissant la reproductibilité entre les 4 sites du projet

Question 6 : Une donnée marquante qui ressort du projet depuis le lancement ? 

Une seulement ?… Difficile de choisir entre 3 éléments marquants principaux de l’axe pédologique du projet :

  • Le premier a été de confirmer que dans des environnements pollués par des éléments traces métalliques, cultiver sur un substrat fertile (un sol construit en mélangeant des matériaux d’excavation dits « inertes » et du compost) est une solution qui limite la mobilité de ces substances toxiques.
  • Le deuxième est qu’il est essentiel de prendre en compte la variabilité spatiale des sols. Malgré la proximité géographique des 4 sites de l’expérience IPAUP93, les sols sont très différents (teneurs en ETM, mais aussi épaisseur, structure, texture, porosité, etc…). Cette variabilité de contexte correspond à une variabilité des résultats. Cela montre qu’il est très délicat d’affirmer détenir LA solution générique universelle à partir d’une expérimentation. Il est préférable d’adapter une solution appropriée à chaque contexte, de suivre l’évolution de son efficacité au fil du temps et éventuellement de la faire évoluer en fonction des changements observés.
  • Et enfin, en nous lançant dans une expérience de recherche participative sans trop savoir ce que c’était, nous avons pu produire des résultats vraiment originaux associant plusieurs disciplines qui n’auraient sans doute pas été faisables dans le cadre de la recherche académique pure.

 

Question 7 : Pour finir sur une note positive, qu’est ce que ce projet vous apporte et qu’est ce qui en fait sa différence ? 

Henri : Je me suis retrouvé confronté à cette opportunité sans être vraiment convaincu par cette nouvelle approche de recherche. Il m’apparaît à l’issue de ce projet qu’il s’agit bien d’une façon différente de faire progresser la connaissance scientifique, riche, convaincante et qui permet d’être au plus proche des utilisateurs potentiels d’une solution élaborée et testée collectivement avant d’être diffusée plus largement.

Cette expérience de sciences de la durabilité a été extrêmement positive et elle contribue à ouvrir des perspectives prometteuses de réaliser autrement de la recherche dans toutes ses dimensions fondamentales, appliquées et impliquées !

Thomas : Sur le terrain, nous avançons ensemble main dans la main, en prenant en compte les contraintes des gens alors qu’au labo, on est loin de cela, on est allé sur le terrain, on a récolté nos données et on repart faire l’analyse de notre côté. Là, il y a un échange qui se crée et se renforce chaque année ! Alors, quand cela se termine, on est triste mais c’est concret sur le territoire et on peut observer les bienfaits.  On se sent utile en sortant des questions fondamentales brutes et on montre qu’une approche différente est possible !

 

Question BONUS : Quelles sont vos attentes par rapport au réseau de porteurs de projets SRP Sols pour votre projet ?

Que ça fasse caisse de résonance ! Cela intéresse, il y a une attente… mais les recherches participatives, cela se coconstruit et donc cela prend du temps. En face, le budget ne suit pas forcément et les financements ne sont pas toujours adaptés.
Intégrer un réseau et avoir la possibilité d’échanger avec une communauté sur le vécu et les expériences de chacun est un plus pour porter à plusieurs la voix des Sciences et Recherches Participatives sur les Sols.

En effet, malgré tout ce que l’on vient de dire sur le côté pérennisation auquel on croit, la réalité, c’est que l’on revient au réel, on publie des écrits et on passe nécessairement à autre chose… L’intérêt du réseau peut être d’aider à la pérennité des projets !

 

Si vous voulez en savoir plus sur le projet, découvrez quelques résultats publiés et référencés sur le centre de ressources de l’AFES : https://www.afes.fr/ressources/projet-ipaup-93-pedologique-resultats-dune-recherche-participative-sur-les-sols-de-seine-saint-denis/

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Si vous souhaitez rencontrer des membres du projet et poursuivre les échanges, rendez-vous le lundi 2 décembre, 2nd Colloque des Sciences et Recherches Participatives sur les Sols “Comment s’impliquer pour connaître et préserver les sols?”, au Dôme, Caen (14), à l’occasion de la Journée Mondiale des Sols normande !